Une  bataille se  livre en ce moment dans le champ de l’éducation scolaire en France, et dans d’autres pays d’Europe.  La volonté politique d’inculquer aux enfants la théorie du genre dans toutes les écoles laïques ou privées sous contrat avec l’État dès l’âge de 6 ans, l’aveu de l’absence de neutralité philosophique ou politique de l’école[1] seront-ils la goutte qui fait déborder le vase et qui poussera, enfin, les chrétiens à prendre conscience de la nécessité de prendre toutes leurs responsabilités en matière d’éducation ? Sommes-nous prêts, comme le disait Martin Luther King[2],  à ne plus être ces thermomètres, qui enregistrent l’opinion de la majorité, mais à  être ces thermostats  qui transforment et régulent la température de la société ? Sommes-nous prêts à être ces chrétiens qui sont des initiateurs de culture plutôt que des suiveurs de culture ?

Le projet de M. Peillon.

Notre ministre de l’éducation nationale, M. Vincent Peillon, veut  « Refonder l’école de la République »[3]. Êtes-vous au courant du contenu de ce programme ?

Dans son livre-programme « Refondons l’école » publié en février 2013, le Ministre de l’éducation nationale explique en effet que « dans notre tradition républicaine, il appartient à l’école non seulement de produire un individu libre, émancipé de toutes les tutelles – politiques, religieuses, familiales, sociales – capable de construire ses choix par lui-même, autonome, épanoui et heureux, mais aussi d’éduquer le citoyen éclairé d’une République démocratique, juste et fraternelle.[4] » La liberté consisterait donc à être son propre maître, son propre dieu, étant affranchis de toutes les tutelles, y compris de celle de Dieu.

L’école, nouvelle « Église de la République ».

Dans son livre « La Révolution n’est pas terminée », publié au Seuil en 2008,  M. Peillon livre le cœur de  sa pensée. Voici ce qu’il dit de l’école[5] : « C’est à elle [l’école] qu’il revient de briser ce cercle [les déterminismes], de produire cette auto-institution, d’être la matrice qui engendre en permanence des républicains pour faire la République, République préservée, république pure, république hors du temps au sein de la République réelle, l’école doit opérer ce miracle de l’engendrement par lequel l’enfant, dépouillé de toutes ses attaches pré-républicaines, va s’élever jusqu’à devenir le citoyen, sujet autonome. C’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle Église, avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la Loi. La société républicaine et laïque n’a pas d’autre choix que de «s’enseigner elle-même » (Quinet) d’être un recommencement perpétuel de la République en chaque républicain, un engendrement continu de chaque citoyen en chaque enfant, une révolution pacifique mais permanente. »  L’école n’a décidément rien de neutre, elle est le véhicule d’une idéologie, qui se montre au grand jour, et qui se nourrit de cet esprit de révolte contre Dieu qui remonte à l’origine des temps.

L’école, lieu pour « déconstruire l’idéologie de la complémentarité homme-femme ».

« L’éducation à l’égalité de genre » doit devenir une mission de l’école élémentaire, dès l’âge de 6 ans, « afin de substituer à des catégories comme le sexe (…) le concept de genre qui (…) montre que les différences entre les hommes et les femmes ne sont pas fondées sur la nature, mais sont historiquement construites et socialement reproduites [6]».  Le récent rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales  recommande que l’école s’engage dans la « lutte contre les stéréotypes de genre » « dès le plus jeune âge », qu’elle déconstruise «l’idéologie de la complémentarité homme-femme » pour « tendre vers une société » égalitaire[7]. A cette fin, ce rapport recommande notamment aux enseignants de remplacer les appellations « garçons » et « filles » par les termes neutres « amis » ou «enfants », de raconter des histoires dans lesquelles les enfants ont deux papas ou deux mamans, etc. Il s’agit, dit le rapport, d’empêcher la « différenciation sexuée » et l’intériorisation par les enfants de leur identité sexuelle. Comme l’indique M. Peillon, « le gouvernement s’est engagé à s’appuyer sur la jeunesse pour changer les mentalités, notamment par le biais d’une éducation au respect de la diversité des orientations sexuelles[8]. »

L’école au cœur du conflit entre deux visions du monde, deux sagesses.

Nous sommes donc les témoins d’une « guerre »  entre des visions du monde incompatibles, qui s’affrontent sur le terrain de l’école, prenant en otage les enfants, confrontation entre une sagesse qui vient « d’en bas » qui se veut autonome, indépendante, et une sagesse qui vient « d’en haut » qui reflète la nature et le caractère de Dieu. En lisant ce projet de refondation d’école, je ne peux m’empêcher de me remémorer ce verset : « Se vantant d’être sages, ils sont devenus fous » (Romains 1. 22). Plus que jamais, nous devons prendre au sérieux ce mandat « d’enseigner les nations » que le Christ nous a donné, et cela commence par nos enfants, cela commence par enseigner les justes définitions que les Ecritures nous donnent au sujet de Dieu, de l’homme, de la famille,  de l’alliance du mariage, de la vie et de tous les domaines de la Création ; il s’agit ici de vivre et de communiquer une vision chrétienne du monde, une juste représentation de « ce qui est dans le ciel et de ce qui est sur la terre » (2ème commandement, Exode 20. 4-6), condition pour être sel et lumière,  condition d’une action pertinente dans ce monde. Tout enseignement peut soit asservir, soit affranchir. Et nous croyons qu’il n’y a pas d’affranchissement possible, pas de liberté possible en dehors de Dieu, de son amour, de Sa sagesse et de son œuvre de rédemption.

Quel fondement pour nos écoles ?

La Parole de Dieu nous avertit : « quand les fondements sont renversés, le juste, que ferait-il ? » (Ps 11. 3). Nous savons qu’il n’y a qu’un seul fondement, Jésus Christ (1Co 3. 11), et que nous sommes appelés à bâtir sur ce fondement avec de l’or et de l’argent. C’est  à nous, chrétiens, de « refonder l’école » sur le fondement de la foi en Christ qui est le seul qui puisse  nous rendre « réellement libres », nous communiquer notre véritable identité d’hommes et de femmes, créés à son image, pour entrer dans des œuvres préparées d’avance, des projets de bonheur et d’espérance qui donnent tout son sens à notre vie. La société est souvent (toujours?) le reflet de l’état de l’Eglise. Il y a longtemps que nous aurions dû nous occuper de bâtir d’autres fondements à l’école. Tout terrain dans lequel nous ne voulons pas prendre responsabilités est un terrain qui sera pris par l’Adversaire, qui, lui, cherche à détruire les fondements pour poser les siens, à détruire les signes pour ériger les siens (Ps 74. 4) « Il n’existe aucun territoire neutre dans l’univers tout entier, disait C.S. Lewis : « car Dieu revendique chaque mètre carré et chaque 10ème de seconde, et Satan lui répond en faisant de même ».

Il ne faut pas que nous nous contentions de manifester notre désaccord,  de nous contenter d’être en réaction,  il faut que nous nous mettions à poser d’autres fondements, à bâtir autrement, à relever le mandat de l’enseignement. Investissons dans une éducation qui honore Dieu, et, par là  même, qui honore l’homme, qui honore l’enfant, qui bâtit son identité, sachant que notre véritable identité ne se bâtit pas sans Dieu ! Une telle éducation souligne notre  compréhension du prix que Dieu a payé lui-même pour notre liberté : le don de son propre Fils.

Soyons conscients des immenses enjeux actuels en matière de politique d’éducation, soyons reconnaissants pour la liberté que nous avons encore d’éduquer et d’enseigner nos enfants selon nos convictions religieuses ou philosophiques, droit garanti  par la Constitution Européenne[9][10]. Soyons de ceux qui soutiennent de toute leur force ce trésor confié par Dieu que sont nos écoles chrétiennes, modèles encore jeunes, puisque les premières écoles protestantes évangéliques datent de 1985, fondées par des parents et enseignants courageux qui n’ont pas eu peur de payer ce prix de la liberté, mais modèles tout de même, source d’inspiration pour beaucoup, et instruments qui contribuent à la « liberté glorieuse des enfants de Dieu ». (Romains 8. 21) Soyons de ceux qui refusent de « plier » le genou devant toutes les idéologies asservissantes, avilissantes, aliénantes, et qui, comme les parents de Moïse qui avaient « vu que leur enfant était beau », n’ont pas craint l’édit du roi (Hébreux 11. 23) et ont pris leurs responsabilités. Que le temps vienne où ces écoles chrétiennes,  qui se battent année après année pour leur survie, qui ont du mal à payer leurs enseignants et leurs factures, seront portées, chéries, adoptées, bénies, remplies, considérées, irriguées, portées par le Corps de Christ tout entier. Car dans ces temps d’ébranlement, Dieu lève une génération qui l’aimera de tout son coeur, de toute sa force, de toute sa pensée.

Pour une nouvelle Réforme de l’école.

Cette crise sans précédent, ce viol des consciences annoncé de nombreuses familles chrétiennes, pourront-t-ils se transformer en opportunités, telles que le soutien et la création  d’écoles chrétiennes, hors contrat,  moyen privilégié d’assurer une cohésion entre la famille et l’école concernant le  discours sur la création, les valeurs, la vision de l’homme et du monde, moyen de toucher d’autres enfants, d’autres familles ?

En guise de conclusion, permettez-moi de vous citer Alexandre Vinet, auteur  suisse du 19e siècle, théologien, ardent défenseur de la séparation de l’Église et de l’État (mais pas de l’Église et de l’école), critique littéraire, enseignant, qui écrivait ces lignes alors que les fondements de l’école laïque étaient posés en France. Il annonçait le besoin d’une réforme de l’école en France à venir,  le besoin d’une « refondation de l’école » :

« L’idée de former l’homme, l’homme tout entier dans les écoles de la patrie, n’est pas encore venue à bien des gens. C’est que le respect de l’homme nous manque ; et qui pourrait s’en étonner, lorsque toute idée élevée sur son origine et sa destination s’est peu à peu effacée de la plupart des esprits ? (…) Aussi suis-je persuadé que si jamais cette importante réforme est opérée, qui doit faire des écoles une fabrique d’hommes, et de l’instruction un hommage à la dignité de notre nature, elle sera due à des hommes éclairés d’une autre lumière que celle que nous voyons briller en France, à des hommes que le respect des choses divines aura conduits au respect de l’humanité, et qui auront appris à reconnaître l’héritier du  ciel dans le fils de la poussière[11]. »

Luc BUSSIÈRE
Président de l’AESPEF.
Association des Établissements Scolaires Protestants Évangéliques en Francophonie.

15, Avenue du Maréchal Foch
68500 Guebwiller
Site internet : www.aespef.org
Courriel : luc.bussiere@aespef.org

 

 

 


[1] Précisions données par M. Peillon à l’Assemblée le 14 Mars 2013.

[2] Martin Luther King. « La force d’aimer ». Casterman, p. 28.

[3] Merci au CPDH de nous avoir alerté et informé sur le sujet dès le 8 Avril 2013 par l’article : «  Le Gender pour tous et les droits des parents » et le 24 mai par l’article «  Refonder l’école : les projets du petit père Peillon » qui nous a fait connaître l’article de Grégor Puppinck, du 23 Mai 2013, Docteur en droit et directeur du Centre européen pour le droit et la justice à Strasbourg dont nous avons relevé plusieurs citations.

[4] Précisions données par le ministre Dans la presse et à l’Assemblée

[5] Citations de M. Peillon de son livre « La révolution n’est pas terminée », Seuil 2008,  figurant  dans l’article de Grégo Puppinck « Refonder l’école : les projets du petit père Peillon ».

[6] Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, 28 février 2013. Présentation orale de l’amendement par son auteur Mme Julie Sommaruga, député. http://www.dailymotion.com/video/xy2pjv_amendement-introduisant-la-theorie-du-genre-a-l-ecole-elementaire_news#.UV6b5JO-18E

[7] Voir le récent rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales. Inspection générale des affaires sociales, GRESY Brigitte, GEORGES Philippe, Rapport sur l’égalité entre les filles et les garçons dans les modes d’accueil de la petite enfance, Décembre 2012.

[8] Lettre de Vincent Peillon, Ministre de l’Éducation nationale, aux recteurs, datée du 4 janvier 2013.

[9] La Convention européenne des droits de l’homme énonce que « L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques » (Protocole additionnel 1er, Art. 2). Par ailleurs, la Déclaration universelle des droits de l’homme reconnaît que « la famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État » (art. 16.3) et que « les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants » (Art. 26.3). En ratifiant le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les États se sont engagés « à respecter la liberté des parents de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions » (Art. 18. 4)

[11] Alexandre VINET : « L’éducation, la famille est la société » Paris, 1855, p 193-194. Cité par Luc BUSSIÈRE dans son dernier ouvrage : « Richesses enfouies ». Editions Mathurin Cordier. 15 Avenue du Maréchal Foch 68500 Guebwiller.