Destruction ou délivrance ?

 

Le travail sur les textes fondateurs en classe de 6e, dont le livre de la Genèse, invite les élèves à se poser les questions suivantes : quelle vision de Dieu, quelle vision de l’homme, quelle vision du monde transparaissent dans ces textes ?

Nous connaissons tous ces récits de la Genèse qui ont alimenté l’imaginaire collectif et la création artistique depuis des siècles. Mais une étude approfondie soulève plusieurs questions de fond. De nombreux commentaires ont déjà été écrit sur la Genèse et cet article n’a pas la prétention d’en faire une étude exhaustive. Mais il a pour but d’interroger nos représentations : quelle image avons-nous réellement de Dieu ? Est-il réellement bon, comme il se présente lui-même : « riche en bonté et en fidélité »1 et comme le psalmiste l’a tant chanté2 ?

Selon la tradition, Moïse a écrit le Pentateuque pour expliquer le plan de Dieu à son peuple qui sortait de l’esclavage. Quelle vision le peuple hébreu avait-il de son Dieu ? Comment Dieu s’est-il alors révélé dans l’Ancien puis dans le Nouveau Testament ? Dans les Évangiles, nous voyons que Jésus enseigne les vérités de son royaume en paraboles à ceux à qui il a été donné de connaître « les mystères du royaume des cieux »3. De la même manière, nous pouvons étudier la Genèse comme une annonce de certaines vérités du royaume.

En effet, la Genèse raconte plusieurs histoires : d’abord, l’histoire de la création du monde et de l’humanité. Puis l’histoire de la création d’un peuple, appelé à la vie4 par un Dieu d’alliance. Or, tout récit demande à être interprété. Et toute interprétation est le résultat d’un choix. Nous sommes encore aujourd’hui devant ce choix d’interprétation. Malheureusement, nous sommes pollués par de nombreuses images héritées de représentations mythologiques. Il nous faut absolument exercer notre discernement, sinon nous pouvons laisser trop facilement place au doute : Dieu est-il réellement ce qu’il dit qu’il est ? N’est-il pas plutôt un Dieu vengeur et plein de colère ? Comment expliquer alors ces jugements réprobateurs : Adam et Eve chassés du Paradis, l’humanité détruite par le déluge, les projets des hommes arrêtés par décret divin lors de la construction de la tour de Babel ?

Dans l’analyse des récits de la création, du déluge et de la tour de Babel, les manuels de français de 6e posent généralement la question suivante : quelle est la punition infligée aux hommes par Dieu ? Et les représentations picturales qui accompagnent ces textes montrent très souvent les hommes qui souffrent, ployant sous le poids du châtiment divin.

 


Adam et Eve chassés du Paradis terrestre par Jean Achille Bénouville

Du point de vue humain, évidemment, être chassé du jardin d’Eden peut sembler une punition cruelle. Or, Adam et Eve ont délibérément choisi de désobéir et par leur désobéissance, le péché est entré dans la création. La conséquence du péché c’est la mort5. Pour ne pas demeurer éternellement dans le péché, Dieu a empêché Adam et Eve de continuer à se nourrir des fruits de l’arbre de la Vie. Dieu est-il en train de les punir ou de les délivrer d’une mort éternelle ?

De plus, le jardin peut symboliser le lieu de rencontre entre Dieu et l’humanité, humanité qui est désormais entachée par le péché et donc indigne de se présenter devant Dieu. Le jardin est-il donc devenu irrémédiablement inaccessible ? Genèse 3, 24 précise que l’entrée est gardée par des chérubins portant une épée de feu. Pourquoi cette précision ? Or, l’épée peut être interprétée comme le symbole de la Parole6. Et la Parole faite chair, c’est Jésus7. Et c’est par Jésus que nous avons la vie éternelle. Jésus a pris nos péchés pour que nous puissions revenir vers Dieu le Père. Grâce à Lui, nous pouvons faire demi-tour, nous pouvons retourner dans le jardin de la Présence de Dieu ! Bonne nouvelle !

De la même manière, nous pouvons considérer l’épisode du déluge comme un châtiment divin. Et de nombreux tableaux célèbres représentent ce moment de manière sombre en insistant sur la dévastation du monde et de l’humanité.

 

Le Déluge par Francis Danby

En effet, Dieu a programmé une destruction qui est énoncée trois fois en Genèse 6, versets 7, 13 et 17. La répétition des termes donnent une impression de jugement implacable et froid. Or, il est aussi précisé que « L’Éternel se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre, et il fut affligé dans son cœur » (Gen. 6, 6). Cette décision n’est donc pas un châtiment décidé sous le coup de la colère, comme c’est le cas dans les récits mythologiques gréco-romains8. Mais le résultat d’une peine immense. Depuis le meurtre de Caïn, la violence s’était multipliée et « toute chair avait corrompu sa voie sur la terre » (Gen. 6, 12). L’humanité était donc en voie d’auto-destruction et la création en souffrait. L’homme n’avait pas joué le rôle que Dieu lui avait attribué en Genèse 2, 15 : cultiver et garder le jardin. Alors, Dieu a-t-il laissé la destruction arriver à son terme ? Non, il a demandé à Noé de construire une arche afin de tout recommencer. Il a laissé une deuxième chance à l’humanité. Et la terre non plus n’a pas été détruite mais elle a été submergée par les eaux, totalement purifiée. Une fois que « la surface de la terre avait séché » (Gen. 8, 13), elle a pu à nouveau produire de la végétation. Et Dieu dit : « je ne maudirai plus la terre à cause de l’homme » (Gen. 8, 21).

Nous voyons donc que la création subissait la violence de l’homme et que l’humanité était presque totalement perdue. Dieu a-t-il donc envoyé une punition ou une délivrance ? Nous pouvons focaliser notre regard sur ce qui a été détruit : une humanité entièrement souillée par le péché. Ou nous pouvons concentrer notre attention sur ce qui a pu subsister et remercier Dieu pour sa patience, son œuvre purificatrice et son alliance.

Ce texte est très riche à bien des égards et il y aurait encore beaucoup à dire. Mais, si nous décidons de nous débarrasser des images traditionnelles polluées par nos représentations mythologiques, nous pourrons peut-être apercevoir dans ce récit apocalyptique, l’annonce d’une autre révélation9 : la toute puissance de Dieu face au péché. Il a été capable de l’anéantir une première fois (même si les hommes ont recommencé à pécher par la suite). Il est donc capable de le détruire encore une fois et cette fois-ci, pour toujours. N’est-ce donc pas une bonne nouvelle ?

Nous finirons cette étude par le récit de la construction de la tour de Babel. Épisode bien connu où Dieu a brouillé le langage des hommes qui construisaient la célèbre tour.

 

La tour de Babel selon Pieter Brueghel l’Ancien

Le brouillage des langues est-il une punition ou une délivrance ? On peut considérer l’arrêt de la construction de cette tour comme une punition de Dieu qui était en colère contre l’orgueil démesuré des hommes. Comme si Dieu était effrayé par les projets humains et devait agir d’en haut pour ne pas qu’ils arrivent à sa hauteur. Cette idée est très présente dans la mythologie grecque où Zeus est sans cesse désireux de prouver sa puissance aux hommes afin de leur montrer qui domine le monde ! Les représentations diverses de la tour par des peintres de différentes époques véhiculent souvent cette idée. Est-ce vraiment le message de ce récit ? A nous de choisir quelle interprétation nous voulons lui donner. Le brouillage des langues permet au peuple de se disperser sur la terre comme le Seigneur l’avait demandé (Gen. 9, 1). Est-ce une punition ?

Genèse 11 décrit l’installation des descendants de Noé dans la plaine de Schinear et l’amélioration de leur technicité de bâtisseurs, au point de pouvoir imaginer la construction d’un immense édifice dont le sommet toucherait le ciel. Or, dans Genèse 10, la liste des descendants de Noé précise que Nimrod était le premier « à être puissant sur la terre » et qu’il avait une renommée de « vaillant chasseur ». Quelques lignes suffisent à décrire le premier homme suffisamment fort, craint et admiré dans sa génération pour prendre la direction d’un peuple. Ce premier roi de Babel a donc été assez influent pour autoriser, voire commander la construction de la tour.

Dieu vit que les hommes avaient décidé de ne former qu’un seul peuple et que « rien ne les empêcherait de faire tout ce qu’ils auraient projeté » (Gen. 11 , 6). Le seul à pouvoir empêcher quelque chose était donc Dieu lui-même. Bien sûr, cet épisode nous montre encore une fois la désobéissance des hommes face au plan de Dieu et Babel reste dans la tradition comme le lieu où Dieu a déjoué l’orgueil des hommes. D ‘ailleurs, l’expression « une tour de Babel » restée dans le langage courant, signifie « un endroit de bruit et de confusion » ou « un projet voué à l’échec ». Mais Dieu était-il surpris ? Bien sûr que non. Il savait très bien que l’orgueil et la désobéissance étaient des tentations très faciles pour l’homme. Que peut-on donc en conclure ? Dieu a choisi de toucher le cœur de leur entreprise, leur communication, afin de les empêcher d’accomplir leur projet. Soit dit en passant, cela nous donne également a contrario une image de ce qu’une bonne communication peut accomplir ! Mais il a aussi délivré ce peuple de la puissance de Nimrod, le premier roi sur la terre. Il a donc montré à l’humanité rassemblée à Babel sa toute puissance sur l’orgueil, la soif de pouvoir et la vanité humaine. Il a ainsi délivré les hommes de l’influence néfaste d’un souverain humain en montrant que le divin souverain c’était bien lui. Le plan de Nimrod a échoué, ils cessèrent de bâtir la ville. Et le plan de Dieu s’est réalisé, les hommes se sont dispersés sur la terre. Ce récit est symbolique à plusieurs titres. Mais il peut donc aussi représenter l’action de Dieu venu délivrer un peuple de l’oppression. Et ça aussi, c’est une bonne nouvelle !

Ces trois exemples racontent trois moments de l’histoire de l’humanité où Dieu est intervenu en faveur des hommes. Ils montrent la toute puissance de Dieu face à la mort, face au péché et face à l’asservissement. Peut-on encore considérer ces trois interventions comme des châtiments divins ?

Ces récits ne présentent pas une petite moralité à la fin de l’histoire comme le feraient une fable ou un conte philosophique. Mais ils sont riches de leçons. A nous de choisir si nous voulons garder l’image d’un Dieu colérique et vengeur ou si nous désirons être renouvelés dans notre intelligence de qui il est vraiment.

Après ces trois textes, Genèse 12 décrit l’appel de Dieu à Abraham. Autre récit d’une autre création : par sa Parole, son appel, Dieu crée un nouveau peuple à partir d’un homme qui vivait dans une génération corrompue par l’idolâtrie et sous la domination d’un roi puissant. Les trois récits qui précèdent peuvent donc également être vus comme trois préfigurations de l’histoire d’Abraham.

En définitive, la Genèse fait la démonstration de la toute puissance de Dieu face aux errements des hommes et au plan de destruction de l’ennemi. Ces récits transmis au peuple de l’alliance par Moïse à qui Dieu avait montré « toute sa bonté »10 ont eu de quoi fortifier la foi d’un peuple tout juste sorti de 400 ans d’esclavage. De quoi également fortifier notre propre foi, sachant qu’il est le Tout-Puissant et qu’il ne va pas utiliser sa puissance pour nous détruire mais pour nous délivrer. C’est une bonne nouvelle !

1 Exode 34, 6.
2 Psaumes 25, 8 ; 34, 9 ; 31,20 ; 33, 5…
3 Matthieu 13, 11.
4 Genèse 12, 1.
5 Romains 6, 23
6 Éphésiens 6, 17
7 Jean 1, 1-5.
8 Voir notamment le récit du déluge dans les Métamorphoses d’Ovide (poète latin du Ier siècle av. J.-C.).
9 Apocalypse signifie révélation en grec.
10 Exode 33, 19.